L’Égalité et l’Inclusion dans le Football Féminin avec Michaela Gooden, fondatrice de l’agence sportive MRS GRAY

1,9 milliard de téléspectateurs ont suivi la Coupe du Monde de football féminin en 2023, un record qui témoigne de l’essor spectaculaire de la discipline. Bien plus qu’un simple succès d’audience, cet engouement reflète une transformation profonde du sport et des mentalités. Pourtant, malgré cette visibilité croissante, les inégalités persistent, notamment en matière de rémunération. En 2023, une étude de l’UNESCO révélait que seulement 13 % des revenus du sport mondial étaient attribués aux femmes, mettant en lumière les défis encore à surmonter.

Les avancées existent cependant, comme la parité totale entre les athlètes féminins et masculins aux Jeux Olympiques de Paris 2024, une première historique. Pour la première fois, autant de femmes que d’hommes ont participé à l’événement, une avancée majeure vers une représentation plus équitable dans le sport de haut niveau. Mais au-delà des grandes compétitions, c’est dès le plus jeune âge que tout commence : encourager les filles à pratiquer un sport, leur donner accès aux mêmes opportunités que les garçons, c’est poser les bases d’un avenir plus juste.

C’est dans cet esprit que Michaela Gooden a choisi d’agir. Ancienne joueuse professionnelle, elle a été confrontée aux réalités du haut niveau et aux obstacles rencontrés par les sportives. Forte de cette expérience, elle a fondé MRS GRAY Sports, une agence dirigée par des femmes, dédiée à accompagner les athlètes et à défendre un environnement plus inclusif et équitable.

Dans cette interview, elle partage son parcours, les défis qu’elle a affrontés et son engagement à transformer le monde du sport. À travers son rôle d’agent, elle œuvre pour que l’égalité ne soit plus un objectif lointain, mais une réalité concrète.

1. Pourriez-vous revenir sur votre parcours sportif et ce qui vous a encouragée à créer votre agence MRS GRAY Sports ?

Mon amour pour le football a commencé dès mon enfance, en jouant dans les rues avec mes amis. C'était bien plus qu'un simple jeu, c'était une passion qui a façonné la personne que je suis aujourd'hui. J'ai eu la chance d'être repérée par mon professeur d'école primaire, M. Gray, qui a joué un rôle crucial dans mon développement. Il a organisé mon premier essai professionnel au Centre d'Excellence de Fulham dans l’ouest de Londres, que j'ai rejoint à l'âge de 9 ans. J'ai été la plus jeune joueuse à intégrer l'équipe des U13 et j'y suis restée pendant toute mon enfance, gravissant les échelons et développant mes compétences.

À 16 ans, j'ai signé mon premier contrat semi-professionnel, une étape importante dans ma carrière. Trois ans plus tard, j'ai obtenu une bourse complète pour étudier et jouer au football aux États-Unis. Cette expérience a été incroyable, tant sur le plan sportif qu'humain. J'ai passé quatre années passionnantes là-bas, avant de revenir en Angleterre.

De retour, j'ai eu l'opportunité de jouer pour des clubs prestigieux tels que Crystal Palace, AFC Wimbledon et Fulham, réalisant ainsi mon rêve de jouer au plus haut niveau. Après une carrière enrichissante, j'ai finalement pris ma retraite en tant que joueuse professionnelle.

Cependant, mon parcours dans le football ne s'est pas arrêté là. En 2020, je me suis qualifiée pour devenir agente, avec l'idée de continuer à contribuer au monde du football d'une manière différente. Au fil du temps, j'ai réalisé qu'il y avait un manque dans l'industrie : le besoin d'agences plus indépendantes, dirigées par des femmes, avec une approche différente.

Le football est un sport traditionnellement dominé par les hommes, et seulement 7 % des agents enregistrés dans le monde sont des femmes. J'ai senti qu'il était temps d'apporter une nouvelle perspective, une approche qui valorise l'empathie, l'inclusivité et la compréhension des besoins spécifiques des joueurs et des joueuses.

C'est ainsi qu'est née l'agence MRS GRAY Sports en juillet 2022. Un projet ambitieux, mais surtout une nécessité pour faire évoluer la discipline. Bien sûr, le chemin n'a pas été facile. Il y a eu des défis, des moments de doute, mais aussi de nombreuses leçons apprises.

2. En tant qu'agente, on vous associe souvent au rôle de négociatrice, mais votre mission va bien au-delà. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’étendue de vos responsabilités ?

Le rôle d'une agente va bien au-delà de la table de négociation. Les athlètes font face à un ensemble complexe de défis, tant sur le terrain qu'en dehors, et il est essentiel de les soutenir à chaque étape de leur carrière. En tant qu'agente féminine, je pense que mes expériences personnelles me permettent de me connecter avec les athlètes à un niveau plus profond, offrant non seulement des conseils professionnels, mais aussi un soutien émotionnel et mental.

Pour moi, comprendre qui sont mes joueuses en dehors du football est tout aussi important que de me concentrer sur leur développement athlétique. En connaissant leur personnalité, leurs valeurs et leurs centres d'intérêt, je peux les aider à planifier leur vie après leur carrière de joueuse. Nous commençons à discuter des prochaines étapes dès le début, en explorant des opportunités, et en nous assurant qu'elles mettent en place les bonnes bases durant leur saison sportif.

3. L'écart salarial entre les footballeurs et les footballeuses est stupéfiant. Comment abordez-vous la négociation de meilleurs contrats et accords de sponsoring pour vos clientes, et quelles mesures l'industrie peut-elle prendre pour traiter et combler cet écart ?

Le football féminin suit une trajectoire passionnante à l’échelle mondiale, ce qui est incroyable à observer. Cependant, avec cette croissance rapide, un défi majeur se pose pour les clubs, les organisations et les marques : celui de suivre le rythme. Le développement des talents de base s'avère difficile au Royaume-Uni, et à mesure que le jeu progresse, l'écart entre les niveaux académiques et professionnels devient de plus en plus marqué. Il y a des discussions sur la nécessité de changer l'infrastructure des académies, et j'espère que ces changements auront un impact positif sur le développement des joueuses.

Mais chaque défi comporte son lot d'opportunités, et il est formidable de voir la base de fans grandir ainsi que les opportunités professionnelles se multiplier autour du football féminin.

4. Selon vous, quels sont les principaux obstacles qui freinent les jeunes filles dans leur parcours vers une carrière dans le football ? Et comment votre agence agit-elle pour les surmonter et leur offrir plus d’opportunités ?

Il y a plusieurs obstacles majeurs auxquels les jeunes filles sont confrontées lorsqu'elles poursuivent une carrière dans le football, et beaucoup de ces obstacles proviennent d'un manque de diversité et d'accessibilité dans ce sport. Il y a une pénurie de modèles féminins auxquels les filles peuvent s'identifier au plus haut niveau, ce qui rend plus difficile pour elles de se projeter dans ces positions. 

De plus, l'accessibilité reste un problème majeur. De nombreuses jeunes filles n'ont pas accès aux terrains d'entraînement notamment celles issues de milieux modestes ou des quartiers populaires. Cette disparité peut être encore plus difficile pour les personnes issues de communautés où il existe une combinaison de préjugés culturels et moins d'équipes ou de programmes locaux qui les soutiennent.

Nous nous engageons à répondre à certains de ces obstacles en proposant des camps d'entraînement de haute qualité de tous niveaux, afin de garantir que celles provenant de milieux divers puissent participer sans faire face à des difficultés. L'agence a établi un partenariat avec « Sports Development Network » (une organisation de psychologie du sport) pour créer un camp d'entraînement spécifiquement destiné aux filles de 12 à 16 ans, issues des quartiers populaires. Ce camp propose des formations aux compétences techniques, des ateliers de psychologie et un accompagnement par des mentors. Notre mission n'est pas seulement de créer des parcours permettant d'exceller à des niveaux plus élevés dans le football, mais aussi d'ouvrir des portes pour pouvoir poursuivre une carrière dans le sport. Notre objectif est d’accompagner la prochaine génération de talents féminins en leur fournissant les opportunités et les ressources essentielles pour s’épanouir, tant sur le terrain qu’en dehors.

5. Enfin, qui sont certaines de vos athlètes féminines préférées, tant dans le football que dans d'autres sports, et qu'est-ce qui, selon vous, dans leur carrière ou leurs qualités personnelles, vous inspire ?

En grandissant, je n'avais pas vraiment d'athlète féminine préférée. Les rares exceptions étaient Rachel Yankey et Mary Phillips. Rachel Yankey est l'une des figures les plus respectées du football féminin en Angleterre. Elle a joué pour l’équipe nationale anglaise pendant plus de 15 ans. De son côté, Mary Phillips est aussi une ancienne footballeuse internationale britannique qui a également marqué l'histoire du football féminin, notamment avec l'équipe nationale galloise. 

Ces deux athlètes étaient des modèles dans lesquels je pouvais me reconnaître. À part elles, je n'ai pas de favorites. En revanche, j'ai toujours été fascinée par l'état d'esprit et la détermination des athlètes de haut niveau, quel que soit leur genre. J'ai toujours été particulièrement attirée par celles et ceux qui se distinguent non seulement par leur talent, mais aussi par leur esprit rebelle et leur volonté de défier le statu quo. Leur capacité à repousser les limites et à remettre en question les normes établies m'a toujours profondément intriguée et inspirée.