Les valeurs morales et civiques, ça commence très tôt ! Entretien avec NumeriKinstit, professeur des écoles.
NumeriKinstit est professeur des écoles depuis presque 18 ans dans le Sud de la France. Elle a enseigné 1 an en CE2, 14 ans en CM1, et elle entame sa 3e année en CM2. Elle fait essentiellement du Cycle 3. Très active sur Twitter, @NumeriKinstit partage son quotidien de professeur des écoles avec sa communauté. Grande supportrice de nos jeux depuis toujours, elle nous a fait le cadeau d’organiser un jeu-concours avec nos jeux lors de son passage à 5,000 abonnés sur Twitter. Nous la rencontrons aujourd’hui pour parler des valeurs d’inclusion qu’elle porte depuis toujours dans ses classes.
Vous êtes professeure des écoles depuis 17 ans. Quels sont les nouveaux enjeux que vous voyez émerger ?
Un des nouveaux enjeux qui me tient à cœur est l’égalité fille-garçon. Depuis que je suis enseignante, je fais très attention à ce que cela soit respecté dans ma classe. En Éducation Morale et Civique, on apprend aux enfants à respecter les règles liées à la classe et on a des grands thèmes qui y sont proposés. Il y a par exemple les règles liées à la citoyenneté, à la République, à la France, le développement durable et il y a aussi une partie égalité fille-garçon, et respect des différences non seulement raciales mais aussi physiques (les différents handicaps, la surdité, etc…). Il existe un compte Twitter qui s’appelle @EMCpartageons*, qui propose des idées de programme et des exemples de cours chaque année aux enseignants qui s’inscrivent chez eux, cela peut donner des pistes pour les professeurs.
Plus généralement, quels sont les outils que vous utilisez pour aborder ces sujets ?
J’utilise beaucoup la BD, notamment avec les livres “Max et Lili” qui me permettent d’aborder beaucoup de thèmes du “vivre ensemble”, mais aussi des Astérix, ou des Tintin avec le capitaine Haddock pour aborder le sujet de la politesse ou du respect. J’utilise cette entrée soit en BD, soit en lecture d’images pour ensuite ouvrir un débat oral où on fait parler les enfants, on échange les points de vue et on fait ressortir un consensus de groupe.
J’ai aussi beaucoup d’affiches sur des femmes, des scientifiques qui ont marqué l’histoire. Katherine Johnson qui a calculé l’orbite d'Apollo 11, j’ai son affiche dans la classe et on va étudier un livre sur sa vie cette année. Il a fallu qu’elle se batte non seulement contre les stéréotypes de couleur de peau, le fait qu’elle soit une femme ET mathématicienne ET brillante… J’ai plusieurs affiches, comme cela, pour inspirer mes élèves et leur apprendre des histoires qu’ils connaissent moins.
Plus concrètement, parlons d’égalité fille-garçon. Comment abordez-vous ce sujet ?
C’est un travail quotidien, tant dans les cours que je dispense que dans tous les aspects de la vie en classe. Il faut vivre ces notions au quotidien, que les enfants sentent une cohérence entre notre discours et nos actes au quotidien dans la vie de classe.
J’ai pris le temps de lire beaucoup de choses sur le sujet parce que je voulais me positionner de manière neutre, sans favoriser ni les filles, ni les garçons. Le but ce n’est pas de rabaisser les garçons évidemment en disant “Ce sont les filles qui ont le pouvoir”. Il faut que l’on arrive à trouver un équilibre, et moi en tant que femme, j’avais un peu peur de favoriser inconsciemment les filles. J’ai lu sur le sujet, j’ai vu que même les professeurs des écoles avaient des biais d’attitude en fonction des matières, comme interroger plus souvent les garçons en géométrie, ou les filles en littérature. Parce que les idées préconçues sont encore très présentes dans l’inconscient collectif comme par exemple, que les filles sont moins bonnes en maths. Ce sont des choses qui sont encore trop répandues et contre lesquelles je voulais lutter. Dans la vie de tous les jours, je fais donc très attention, par exemple, à faire passer les filles autant que les garçons au tableau. J’alterne, un coup un garçon, un coup une fille. Les enfants l’ont remarqué assez vite. Il y a quelque temps, un garçon m’a dit “Maîtresse, mais dans ta classe, on passe souvent au tableau, et dans n’importe quelle matière.” J’étais contente que ce soit un garçon qui le remarque, parce que je me dis que s’ils se mettent à le remarquer, c’est que cela a dû changer quelque chose probablement pour eux. Il faut donc presque s’imposer une règle générale, pour qu’elle prenne le dessus et qu’on arrête avec nos stéréotypes ou des réflexes inconscients.
Autre exemple, j’ai un système de planning pour s’inscrire à des jeux, et vraiment, tout le monde peut jouer à tout. Donc j’ai des garçons qui s'inscrivent à la corde à sauter par exemple. Au départ, ils m’ont demandé s’ils avaient vraiment le droit de s’inscrire (la possibilité leur paraissait presque incongrue). Il a fallu que je confirme et que nous parlions de grands sportifs masculins qui font des entrainements de corde à sauter (les boxeurs par exemple) pour qu’ils acquiescent et se rendent compte en effet que c’était leur première impression qui était fausse.
On fait aussi des petits débats sur les métiers. Récemment, nous avons parlé des chefs cuisiniers qui étaient excellents et du fait qu’il y a beaucoup d’hommes chefs cuisiniers, donc ce n’est pas forcément à la femme de faire à manger. J’aime aussi apporter du matériel, des objets qui sont un peu “genrés” : une perceuse, une machine à coudre. Les filles me disent systématiquement “A la maison, c’est papa qui fait ça” quand elles voient la perceuse. Je leur dis que dans ma classe, ce sont elles qui vont apprendre à l’utiliser. Elles ne me croient pas au début. Mais je leur explique que c’est important d’apprendre à se débrouiller seules. J’ai des réactions similaires avec les garçons et les machines à coudre. Pourtant, les grands couturiers ont bien appris à se servir d’une machine un jour ! Ils sse régalent et sont très fiers, ils comparent la pédale à une pédale de voiture de course !
Ces débats, ce planning sportif, ces outils, ce sont de petits actes qui permettent de faire évoluer petit à petit les choses et les rendre évidentes pour les enfants.
Et dans le contexte des cours d’EMC, qu’est-ce que vous faites sur le sujet de l’égalité fille-garçon ?
J’ai un TBI (Tableau Blanc Interactif) avec un petit jeu sur l’égalité fille-garçon. Les enfants viennent mettre dans des cercles ce qu’ils pensent être réservés pour les filles ou pour les garçons et ce qu’ils pensent que les deux sexes peuvent faire. En fait, tout peut être fait par les deux sexes ! Très vite, certains disent “mais non, pourquoi tu as mis ça dans ce cercle…”. Ils entament d’eux-même le débat. Je leur explique qu’en réalité, tout le monde peut faire ce qu’il veut, du moment qu’il ne dérange pas les autres. C’est pareil pour les filles et les garçons : du moment qu’on ne dérange personne, on a le droit de se mettre aux sports de combat, aux sports extrêmes etc, si on est une fille, on a le droit de tout faire. Et les garçons pareils : on peut danser, on peut sauter à la corde…
Pour les religions, c’est pareil, on en discute aussi. Je pense que de l’ignorance naît la peur et de la peur naît la haine. Mon but, c’est de déconstruire les stéréotypes, de leur apprendre des choses, d’éveiller leur curiosité. Le but est de bien leur faire comprendre que tant qu’on ne dérange pas les libertés des autres, on est libres de faire ce qu’on veut. Les notions de respect, de consentement, sont très importantes dans ma classe.
Je vous donne un exemple : le sujet du consentement. J’ai été poussée à aborder cette notion suite à un comportement qui m’a profondément marquée dans ma classe. Un jour, j’ai entendu un élève crier dans ma classe. Je lui ai demandé pourquoi il avait crié, et il m’a répondu qu’il s’était blessé avec sa chaise. Je lui ai demandé de me montrer, et il avait comme une bande de peau, tout autour du poignet, qui était très rouge. Les enfants “jouent” parfois à ce qu’ils appellent la “brûlure indienne”, ils frictionnent une bande de peau dans des sens opposés jusqu’à ce que la victime ait mal et crie. Je n’ai pas cru un instant qu’il s’était fait ça avec une chaise, et lui ai demandé qui lui avait fait ça. Il a fini par me donner le nom de l’élève qui l’avait blessé. J’ai donc demandé à cet élève pourquoi il avait fait ça. Et il m’a répondu : “Il ne m’a pas dit non.”
“Il ne m’a pas dit non”. Cette phrase est restée avec moi jusqu’au soir, et j’ai décidé que même s’ils étaient jeunes, il fallait que je leur parle de consentement. J’ai donc préparé un cours sur le sujet, en m’inspirant d’une vidéo, le consentement expliqué avec une tasse de thé. Je ne pouvais pas leur montrer cette vidéo qui est clairement pour une audience plus adulte, mais je m’en suis inspirée pour leur expliquer que parfois, on peut ne pas dire non, mais ça ne veut pas pour autant dire oui. On peut avoir peur, peur d’être rejeté par exemple. J’ai aussi utilisé comme support une vidéo avec des dessins d’Elise Gravel, qui mettent en scène des situations où les enfants ont le droit de dire non. Sans aborder les sujets qui tournent autour de la sexualité trop directement. Nous avons regardé cette vidéo, je leur ai parlé du consentement, on a ouvert le débat en parlant d’autres situations, d’autres exemples. Voilà comment j’aborde les sujets importants lors des cours d’EMC. Ils peuvent tout comprendre, si les mots sont choisis et à leur portée.
On trouve aussi l’éducation à la sexualité au programme de l’EMC. Comment l’abordez-vous ?
En CM2, on parle surtout de reproduction humaine. On aborde plutôt les aspects “techniques”. Je leur montre des vidéos, validées par l’éducation nationale. Encore une fois, dans ma classe, c’est le respect qui prime, et je veux rester respectueuse des croyances, des traditions des familles qui me confient leurs enfants. On parle de puberté, de premiers émois, mais ça reste axé sur la technique de reproduction. On parle donc des règles et de ce qu’elles représentent et j’en profite pour reparler de respect. Dire que, quand ils seront au collège, s’ils ont une copine qui a ses règles, il faut éviter de se moquer, de critiquer, mais plutôt aider et soutenir. J’explique, avec des mots qui sont accessibles pour eux, puisqu’ils sont en CM2, que les règles en fait c’est le nid du bébé qui est évacué, qu’il devait y avoir un bébé dans l’utérus, que ce sang devait faire un nid douillet pour le bébé, et vu qu’il n’y a pas de bébé, le nid est évacué… On n’a pas à se moquer, on vient tous d’un nid comme celui-là. Ce sont vraiment ces mots-là que je leur dis, en CM2, ils sont très réceptifs.
Je ne sais pas ce que cela devient quand ils sont adolescents, s’ils se rappellent encore de mes mots, mais je me dis que s’il y en a un ou quelques-uns dans le lot qui restent sympas, gentils et compatissants, ce sera déjà ça de gagné.
Quel est le point le plus important, selon vous, à aborder avec ce public, tout en respectant l’âge qu’ils ont ?
Je les sensibilise beaucoup aux dangers d’Internet. Internet, c’est formidable, mais ça présente aussi des dangers, des risques de croiser des personnes malveillantes et des comportements dangereux quand on utilise mal les réseaux sociaux.
Je fais venir un gendarme dans ma classe pour leur parler des dangers d’Internet. Il était à la brigade pédo-criminelle, donc non seulement il connaît bien son sujet, mais il sait parler aux enfants. On le fait venir une heure dans nos classes, les enfants peuvent poser des questions de manière anonyme, on les rassemble dans une boîte, et il arrive que des sujets choquants ressortent, grâce à l’anonymat. Parce que même s’ils ne sont pas censés être sur Instagram (NDLR, l’âge minimum pour Instagram est de 13 ans), ni Facebook, ni Tik-Tok, ni Snapchat, ils y sont quand même. Les parents les inscrivent sans savoir trop ce qui s’y passe. On leur parle des dangers, par exemple, d’envoyer des photos de soi aux autres. Du fait qu’on ne peut pas contrôler ce qui va arriver avec cette photo. Encore une fois, on adapte le langage à leur âge. On leur dit qu’on n’envoie pas une photo de soi en maillot de bain à la plage par exemple, parce que cette photo, on ne peut pas savoir ce que les autres vont en faire. Je leur dis : “Imaginez que vous vous disputiez avec un copain et qu’il vous dessine une moustache, vous ajoute un chapeau ridicule et partage cette photo avec d’autres gens”. J’essaye de les préparer, de faire de la prévention. Il y a eu des enfants qui se sont suicidés après avoir vu leurs photos partout sur les réseaux sociaux, souvent des filles, qui avaient envoyé leurs photos à leurs petits copains, elles se sont senties fautives. Je leur explique qu’en réalité, c’est puni par la loi de faire ça et que ce sont ceux qui publient sans autorisation qui sont fautifs. Mon devoir, c’est aussi de former les citoyens d’Internet de demain, et encore une fois, si je peux influencer ne serait-ce qu’une seule personne à mieux agir dans le futur, j’aurai participé à cette mission.
C’est une génération qui est née avec les réseaux sociaux, mais qui ne sait pas les utiliser. Les parents, et moi-même d’ailleurs, nous sommes à peu près de la même génération, et on a appris à utiliser les réseaux sociaux peu à peu. Mais eux, ça fait partie de leur vie, c’est naturel, et ils n’en réalisent pas du tout les dangers.
Sur les sujets d’EMC, impliquez-vous les parents dans votre travail ?
Cette année, nous avons lancé une nouvelle initiative. Notre “intervenant internet” est un ancien gendarme et nous a rappelé que ça ne sert à rien d’éduquer les enfants, si on n’explique pas aussi certaines choses aux parents. Donc nous avons mis en place un chat en ligne et nous proposerons un débat le soir après que les enfants soient couchés. Les parents envoient les questions à l’intervenant, qui y répond en direct.
On leur parle de filtre parental, et on leur donne des exemples de navigation, comment les enfants, en regardant des photos parfaitement innocentes, peuvent tomber sur des horreurs par le biais des hashtags par exemple.
Je raconte souvent des histoires aux parents, en réunion avec eux, pour leur faire comprendre tout ça. Ils sont horrifiés et ils veulent tout interdire. Mais je ne crois pas non plus en cette méthode. Plus on interdit, plus les enfants veulent braver l’interdit. Je pense qu’il vaut mieux éduquer, faire comprendre les choses. C’est là où, en tant qu’éducateurs, nous avons notre pierre à apporter à l’édifice.
J’utilise beaucoup Twitter, je suis très active sur ce réseau. Il y a un certain nombre de classes sur Twitter, qui par exemple font des parties d’échec d’un bout à l’autre de la France ! Les réseaux, ça ouvre des possibilités, on y trouve de l’inspiration. Je lis beaucoup d’articles. C’est vraiment un bouillon de culture. On prend les idées des uns et des autres entre professeurs des écoles et je partage aussi mes idées avec d’autres. Même si ce n’est pas forcément révolutionnaire, j’ai souvent des retours “Ah mais oui c’est super, on va faire ça.” Cela crée de l’entraide. Donc, initier les jeunes enfants à être prudents et utiliser les réseaux sociaux en toute sécurité, c’est important, plutôt que de les priver des opportunités qu’ils offrent.
Comment conseillez-vous de sensibiliser les enfants à l'écologie, sans que ce soit traumatisant ?
J’ai écrit un billet de blog à ce sujet, en me posant la question suivante : comment nous, les enseignants, peut-on participer à protéger la planète ? J’ai eu, et trouvé, plein d’idées que je répercute avec mes élèves, comme par exemple sur l’utilisation du plastique, comment en utiliser moins ou utiliser du plastique biodégradable. Pour moi, le message c’est plutôt “quelle attitude citoyenne je dois adopter dans ma classe ou ma vie de tous les jours, pour essayer de faire du bien à la planète” ? J’évite de tomber dans le discours catastrophe. On change certains outils, on passe du plastique au carton recyclé, on achète des feutres plus durables etc… Ce sont de petits gestes, mais qui mis bout à bout, font la différence… J’essaye d’éviter de tomber dans un discours anxiogène ou culpabilisateur, et plutôt de parler de gestes citoyens.
*EMC Partageons est une association qui a pour objet de développer la formation du citoyen à l’école, dans le cadre du parcours citoyen de l’élève et plus spécifiquement des programmes d’Enseignement Moral et Civique, en prenant en compte l’évolution des directives ministérielles, par des séquences et séances préparées de manière collaborative et par un accompagnement à distance des enseignants. Elle vise également la promotion d’une école inclusive, par la conception d’outils et de supports spécifiques, accessibles au plus grand nombre d’élèves.
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