L’égalité femme-homme : le point avec Ariane Bénard, présidente de l’association BNP Paribas MixCity

L’égalité femme-homme : le point avec Ariane Bénard, présidente de l’association BNP Paribas MixCity

Ariane Bénard est une femme passionnée par le sujet de l’égalité homme-femme. Après un parcours dans la communication et le marketing chez BNP Paribas, Ariane a rejoint la direction de l’Engagement, puis les ressources humaines pour travailler sur les sujets autour de l’engagement des collaborateurs. En parallèle, Ariane est présidente de l’association BNP Paribas MixCity, qui accompagne les collaborateurs de BNP Paribas dans leur développement personnel et professionnel, tout en faisant la promotion de la mixité et de l’égalité homme-femme à tous les niveaux. Elle est aussi vice-présidente de l’Association 2Gap, créée juste avant le confinement visant à construire un monde où les femmes partagent à part égale la gouvernance avec les hommes. Nous avons rencontré Ariane pour dresser un état des lieux de la situation, et parler des solutions que les entreprises peuvent mettre en place pour réduire l’écart.

L’association BNP Paribas MixCity promeut la parité dans le monde professionnel. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette association a 12 ans et s’est depuis toujours engagée à ce que les femmes accèdent à des postes à responsabilité au sein de BNP Paribas, et ainsi lutter contre le plafond de verre. L’association était au départ un peu “élitiste”, elle était seulement ouverte aux femmes cadres supérieures de l’entreprise, mais au fil des années il nous est apparu utile d’ouvrir l’association à tous car nous avons tous un rôle à jouer pour construire une société plus paritaire. La mixité, c’est aussi une affaire d’hommes ! Notre axe demeure toujours l'égalité hommes-femmes puisque nous sommes convaincus que la performance économique passe aussi par cette mixité des genres. Je suis une femme de 51 ans, maman de deux filles de 15 et 19ans, ce n’est pas par hasard que je suis investie dans la cause de l’égalité homme-femme. Il faut préparer le futur pour cette nouvelle génération de femmes. 

Et c’est très important, je pense, d’ouvrir cette association aux hommes. Ce combat, on ne pourra le gagner que lorsqu’une part de la mobilisation sera portée par les hommes. Notamment les pères de filles. Ils conscientisent très bien les difficultés auxquelles leurs filles risquent d’être confrontées. En devenant membres de notre association, les hommes comprennent mieux les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées au quotidien, les injustices dont elles sont victimes, les stéréotypes qu’elles subissent. Au final, ils deviennent eux-mêmes acteurs de cette société plus paritaire.

Pourquoi est-ce important que les femmes accèdent à des postes à responsabilité, au niveau managérial et plus haut ?

Le problème est lié au manque de mixité et de diversité. Le fait qu'il n'y ait pas une représentation suffisante des femmes dans les instances dirigeantes pénalise en réalité les organisations. Le fait de venir d'origines différentes, de sexes différents, ça nous permet d'avoir une approche extrêmement complémentaire, et c'est cette complémentarité qui est importante. Je ne fais pas partie des personnes qui trouve que les femmes ont certaines qualités que les hommes n'ont pas et inversement. Mais je pense que la combinaison des deux sexes apporte une richesse absolument incroyable, tout comme le brassage des cultures et des âges. Je dirais aussi que les femmes sont parfois moins dans la compétition et plus dans le pragmatisme, et donc le fait qu'elles rejoignent des instances dirigeantes, ça permet vraiment de repenser les sujets et de les traiter sous un angle un peu différent.

Quelles sont les actions concrètes que vous menez, avec l’Association BNP Paribas Mixcity, afin d’aider les femmes à obtenir des postes à responsabilité ?

Au sein de l’association, nous travaillons au développement des compétences de nos adhérent-e-s avec des coachs professionnels. Il y a des programmes individuels et collectifs. L’audace, la capacité à négocier c’est comme l’alphabet ou comme une langue étrangère. Ça s'apprend. Dans notre pays, les femmes osent moins, en raison d’un modèle historiquement patriarcal. Il faut les aider à comprendre d’où ça vient et trouver des clefs, la force et le courage de changer leur comportement. Nous avons aussi des programmes de mentoring, et là, nous avons généralement plus d’hommes que de femmes mentors, et plus de femmes que d’hommes “mentorés”. Les hommes ont une manière différente d’aborder les choses et peuvent nous apprendre beaucoup. Ils offrent un prisme différent. Je l’ai encore vécu récemment, j’ai parlé d’un problème à mon travail à un ami, qui m’a suggéré une solution à laquelle je n’avais pas pensé, basée sur du networking. Les hommes se posent souvent moins de questions que nous, recherchent parfois moins l’excellence que nous, et n’hésitent pas à demander à leur réseau lorsqu’ils ont des besoins. Cela leur permet d’avancer plus vite, souvent. Il faut que l’on s’inspire de ces pratiques.

Selon vous, pourquoi ce sujet de l’égalité homme-femme évolue-t-il si lentement ?

Depuis que l'humanité existe, le monde a été dessiné par des hommes pour des hommes. Et si certains aujourd'hui sont tout-à-fait enclins à laisser un peu de place à un peu plus de la moitié de l'humanité, d'autres ne le sont pas. Certains hommes sont très farouchement accrochés au pouvoir, ils n’ont pas envie de partager ce pouvoir, et c'est là où ils se trompent. Parce que ce n’est pas en permettant aux femmes d'accéder à des postes de gouvernance qu’ils cesseront d’être écoutés ou valorisés. Au contraire, un peu de compétition permettrait de faire le tri et de garder ceux qui sont les plus performants. L'être humain est généralement réfractaire au changement, ce qui implique de sortir de sa zone de confort. Il faut donc accompagner ce changement, et quand je dis accompagner, je parle de faire comprendre les avantages de ce changement. 

Par exemple, on parle souvent des quotas. Je suis totalement favorable aux quotas parce que nous vivons dans une société où ce qui ne se mesure pas n'existe pas. Donc, pour faire bouger les choses, bouger les lignes, il me semble important de mettre en place ces quotas. Le jour où nous atteindrons l'égalité parfaite, la question pourra être réexaminée, bien sûr. Mais pour l’heure, ces quotas permettent d'accélérer le changement.

Justement, le Sénat a adopté le 27 octobre dernier la Proposition de loi Rixain sur l’égalité économique et professionnelle. Est-ce une bonne nouvelle ?

Ce texte a été présenté 10 ans après l’adoption de la loi Copé-Zimmermann, qui imposait 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises. On ne peut que se réjouir d’une proposition de loi en faveur de la parité femmes-hommes car comme le rappelle Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes « Rétablir l’égalité, ce n’est pas leur accorder une faveur (…), c’est réparer une injustice que rien ne saurait justifier ». Pour rappel, la proposition de loi prévoit une proportion d'au moins 30% de femmes en 2027, et de 40% en 2030 parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes d'au moins 1000 salariés.

Cependant, si des effets très positifs ont pu être observés avec la loi Copé-Zimmermann, le changement prend du temps. Il y a un manque de progrès notable dans la répartition des postes à responsabilité au sein des entreprises et de la fonction publique. Je citerais volontiers la présidente centriste de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon « Les quotas ont fonctionné mais n’ont pas eu le ruissellement escompté ».

Donc, oui, c’est une bonne nouvelle car ce projet de loi définit des objectifs de mixité dans le soutien aux entreprises de la banque publique Bpifrance et l’imposition de la présence d’au moins 40% de femmes au sein des comités d’investissement de Bpifrance d’ici 2027. D’autre part, un index de l’égalité va être mis en place dans les établissements du supérieur et il y a des objectifs de mixité dans les jurys, visant à lutter contre les biais de genre. Enfin, et c’est très important, cette loi met en place l’obligation de verser salaire ou prestations sociales sur un compte bancaire dont le salarié est le détenteur ou codétenteur.

En revanche, le Sénat a modifié l’article relatif à la facilitation de l'accès au télétravail des femmes en fin de grossesse. Bref, du mieux, mais on peut encore mieux faire !

Sur les réseaux sociaux, on peut ressentir une certaine lassitude du sujet égalité femme-homme, notamment avec la place qu’occupe aujourd’hui la RSE dans les discours officiels. Pourquoi est-ce important de continuer à mener ce combat ?

Je pense que rien n'est jamais acquis. C’est la citation très connue, mais encore plus vraie aujourd’hui, de Simone de Beauvoir à propos des crises : “N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” 

Et on l'a absolument vu avec le Covid. Quand on voit qu’en novembre, l’écart salarial entre hommes et femmes de 2021 affichait un écart qui se creuse, de 16,5%, contre 15,5% en 2020, on ne peut pas se dire qu’on en a “assez parlé”. S’il n’y avait plus rien à faire, il y aurait 50% de femmes dans les instances dirigeantes, on aurait eu une fois au moins une présidente de la république, et peut-être une meilleure représentation des femmes dans le secteur public. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. J'attire votre attention sur le fait qu'en France, le secteur privé s’en tire mieux que le secteur public alors que celui-ci devrait être exemplaire en la matière ! 

Chez 2Gap, qui réunit les réseaux mixtes et féminins du secteur privé et du public. Cela fait moins de deux ans que nous existons et pour autant, j’en découvre tous les jours, et je vois à quel point il y a des résistances. A chaque fois qu’on essaye d’imposer du changement, comme on l’a vu avec la loi de Marie-Pierre Rixain, il y a des opposants au niveau du Sénat ou de l’Assemblée Nationale. C’est une résistance farouche.

Et même si en France, la situation peut encore être améliorée, il y d'autre pays, l'Afghanistan, l'Iran et plein d'autres, où l’on voit bien que la place de la femme en société est en totale régression.  Et ça, pour moi, c’est vraiment un signe d'inquiétude. Donc même si dans notre pays, il y a encore du progrès à faire avant d'arrêter la bataille, je dirais que de façon plus globale, à l'échelle de l'humanité, il faut faire preuve de solidarité, de sororité, et penser à toutes ces femmes dans le monde qui ne sont pas considérées, qui sont maltraitées et qui sont interdit l'accès à l'éducation.

Nous avons évoqué plus haut Christine Lagarde, une “role-model” impressionnante. Avez-vous dans votre sac à main une liste de femmes aussi compétentes à partager avec nous ?

Christine Lagarde est une femme exceptionnelle. Une “role model”, oui, mais elle est presque “too much”, elle est hors norme, et c’est bien aussi de chercher des "roles models”, justement, qui soient plus accessibles, pour ne pas se décourager trop vite (rires). Avoir de bons modèles, de bons exemples à suivre, c’est quelque chose de très important pour permettre aux femmes, notamment, de s'autoriser à aller de l'avant. C'est très important d'avoir des points de référence. Je connais, en effet, des femmes dans mon entourage, que je trouve admirables, compétentes, et en fonction des recherches établies par certains capitaines d'industrie, je pourrais les recommander sans aucune difficulté. Et d’ailleurs, avec 2Gap, nous avons créé une base de données regroupant des expertes dans tous les domaines. Nous en avons ressenti le besoin après avoir été contactés à plusieurs reprises par des journalistes, qui nous disaient qu’ils avaient beaucoup d’hommes experts dans leurs carnets d'adresse, mais peu de femmes. D’une part, le temps de parole des femmes dans les médias est en général de 25% contre 75% pour les hommes, et d’autre part, elles apparaissent souvent à l'écran comme victimes ou témoins, et moins souvent comme expertes. Il était donc temps de construire une sorte de référentiel, que nous mettons à disposition des journalistes qui le souhaitent, des organisateurs de conférences et de conventions, de tables rondes… Pour n’importe quel exercice de communication Si vous allez sur le site de 2Gap, vous verrez que nous avons rassemblé des expertes de tous les secteurs, la justice, l’entreprenariat, la RSE, la communication. Et en toute transparence, cette liste pourrait aussi servir à promouvoir ces femmes pour des postes à responsabilité.

Quelle est, selon vous, l’urgence à laquelle il faut répondre aujourd’hui pour les femmes en milieu professionnel, et que peuvent mettre en place les entreprises pour y pallier ?

L'urgence, pour toutes les femmes, c'est le fait qu'il faut que les femmes arrêtent de se sacrifier systématiquement pour élever leurs enfants. On voit qu’il y a souvent un décrochage qui s'opère au moment de la maternité, et ça, il faut qu'elles apprennent à dire non. Moi je n’ai pas été capable de le faire à une époque, et quelque part ma vie professionnelle ne s’est pas construite comme je le souhaitais, parce que j'avais un peu le syndrome de la femme et de la mère parfaite. On fait les enfants à deux, on doit les élever à deux, il faut arrêter que ce soit toujours la femme qui parte à une heure raisonnable du bureau parce que l’enfant est malade par exemple. Sur ce sujet, je pense qu’il y a urgence. Un petit exemple : j'ai deux filles, et volontairement, je ne leur apprends pas à faire le ménage, et le repassage parce que je me dis qu'au fond, le jour où elle vont vivre en couple, elles ne sauront pas faire, et donc elles apprendront aux côtés de leurs moitiés. Il faut que les femmes refusent d’assumer seules la charge mentale. Que les tâches soient enfin partagées. 

Le sujet que l’entreprise peut pousser, c’est le congé paternité. Ce congé paternité, il faut que les hommes le prennent, ça devrait être obligatoire. Il ne suffit pas de le mettre à disposition. Encore aujourd’hui, beaucoup d’hommes ne prennent pas ce congé, qui n’est donc pas un franc succès. Un autre levier important, c’est respecter des horaires de travail raisonnables. Mettre des réunions à 8h30 ou après 18h30, ça n’a pas de sens, et on sent bien que pour les nouvelles générations, ce sont des choses qui ne passent plus. On sent une demande d’un plus grand respect de la vie privée, de ne pas déranger les collaborateurs le WE. Les entreprises mettent en place des codes de conduite dans ce sens. Donc les choses bougent déjà, et il faut accélérer. Mais je crois aussi, que comme nous apprenons aux femmes à se positionner sur le poste dont elles rêvent ou à aller oser négocier leur augmentation de salaire, nous devons aussi leur dire d’apprendre à dire non dans un cadre plus intime. D’arrêter de tout faire et de tout mener de front.