Éthique et gouvernance - avec Viviane Neiter, consultante en administration de sociétés.

Éthique et gouvernance - avec Viviane Neiter, consultante en administration de sociétés.

Ethique et gouvernance : ces deux sujets ont dominé la carrière de Viviane Neiter. Marquée par l’affaire Enron en 2001, elle décide de créer son propre cabinet de gouvernance et entre dans plusieurs conseils d’administration. Partant du constat que seulement 7% de femmes font partie des conseils d’administration, en 2003, elle rejoint une association pour combattre ce déséquilibre, Il aboutira à la promulgation de la loi Copé-Zimmermann. Soucieuse du réchauffement climatique, Viviane s’engage avec Chapter Zero, une association d’administrateurs.rices qui se mobilisent pour œuvrer au sein des conseils et limiter les impacts du réchauffement climatique dans leur stratégie. Avec son cabinet de gouvernance, elle aide les sociétés à améliorer leurs relations avec les actionnaires. Elle enseigne aussi la gouvernance et la RSE. Elle nous raconte les enjeux actuels d’une bonne gouvernance dans une entreprise. 

Qu’est-ce qui pousse les entreprises aujourd’hui à entamer ou progresser dans leur réflexion autour des sujets RSE, éthique et gouvernance ? Est-ce que vous voyez une accélération sur ces sujets ?

Il y a effectivement une accélération, dûe à plusieurs phénomènes. Les lois mises en place semblaient souvent plus appropriées pour les grandes entreprises mais les PME-PMI se sont emparées du sujet. Aujourd’hui, la notion de  RSE, après avoir été galvaudée, prend tout son sens. Toutefois,  beaucoup s’interrogent sur la signification du “S” , “Social” “Societal” ou “Sustainable”. Le social englobe les parties prenantes internes, c'est-à-dire les salariés et tout ce qui est fait pour eux. On sait qu'aujourd’hui par exemple, la fuite des talents est un des risques majeurs dans les entreprises. La puissance des réseaux sociaux est terrible : aujourd’hui, les ONG ou les anciens employés peuvent détruire l’image de marque d’une entreprise, soit parce qu’elle n’est pas respectueuse, des droits des employés  ou de l’environnement par exemple. Je constate aussi une grande volatilité dans l’emploi. Au siècle dernier, quand on entrait dans une entreprise, on y travaillait au moins 20 ans. Maintenant les jeunes professionnels sont plus exigeants et veulent que l'entreprise soit alignée avec des valeurs porteuses de sens. De fait, le mouvement de  création d’entreprises peut l’expliquer et les sociétés doivent définir soigneusement  leur raison d’être. Elle doit être construite avec les salariés, puisque ce sont eux les premiers intéressés. Membre de Governance Professionals of Canada, j’observe de bonnes pratiques dont on peut s’inspirer,  par exemple, créer un comité consultatif de parties prenantes qui engloberait à la fois des clients, des fournisseurs, des journalistes, des ONG, des membres de la société civile… 

En France, les entreprises interrogent une par une les parties prenantes, cela me semble trop  restrictif. Les résultats sont bien meilleurs quand tout le monde travaille ensemble, en même temps. Ces comités de parties prenantes sont encore trop rares  en France. Aux Etats-Unis, les Benefit Corporations* ont compris qu’en instaurant ce dialogue constructif avec les parties prenantes, elles créeraient un environnement de travail vertueux, bien plus rentable sur le long terme, avec des employés et des clients fiers de participer à l’établissement de telles sociétés.

Clairement, pour moi, la RSE a permis aux entreprises de vraiment progresser sur l’intégration de nouveaux sujets ces dernières années. Il faut espérer que la mise en place des bonnes pratiques basées sur le “comply or explain”** - si vous n’appliquez pas certaines mesures, vous devez expliquer pourquoi- sera suffisante et évitera des lois trop contraignantes. Il y a de plus en plus de lanceurs d’alerte qui osent dénoncer des pratiques frauduleuses venant d’entreprises. La Loi Pacte a posé des jalons, des repères pour les sociétés, amenant ces dernières à prendre en considération les intérêts des parties prenantes (pas seulement les salariés), le côté social, et le côté environnemental.

Avez-vous des conseils concrets que vous avez envie de partager avec les dirigeants d’entreprise que vous rencontrez ?

Comme décrit plus tôt, je pense qu’un des conseils pour les dirigeants d’entreprises, c’est de s’entourer non seulement d’un conseil consultatif d’actionnaires mais aussi d’un conseil consultatif de parties prenantes. Des améliorations sensibles ont été accomplies en matière  de transparence avec les actionnaires  et les parties prenantes pour faire valoir la stratégie à long terme plutôt qu’à court terme. Bien communiquer est aussi la clef. La constitution d’un comité consultatif de parties prenantes est une première étape. Ensuite, il faut assurer le suivi des dossiers élaborés ensemble jusqu’au bout, les présenter au conseil d’administration, car c’est ce dernier qui est le garant de la pérennité d’une entreprise. La clef est d’arriver à ce que les thèmes pertinents proposés par le comité consultatif fassent l’objet de discussions au sein du conseil  et soient, le cas échéant, intégrés dans une stratégie durable et performante.

Je pense que si le comité de parties prenantes fait effectivement un rapport complet au conseil, les dirigeants doivent prendre en compte ces remarques. La discussion sur la stratégie sera beaucoup plus riche, parce qu’on aura finalement une transparence et beaucoup plus d’informations pour prendre une décision. C’est comme cela qu’on pérennise une société sur le long terme. 

Prenons le cas de la cybersécurité. Récemment, dans une des sociétés avec laquelle je collabore, une personne proposait d’avoir un comité de cybersécurité. Comme les risques sont de plus en plus nombreux, le conseil d’administration doit être en mesure d’intégrer tous ces nouveaux faisceaux pour déterminer la meilleure stratégie possible. L’important est de travailler aussi dans un climat de confiance, le comité ne doit pas challenger mais épauler les décisionnaires. 

Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne l’association Chapter Zero ? En quoi consistent vos missions ? 

Chapter Zero est une association d'administrateurs et d’administratrices. Il n’y a pas de dirigeants, ce ne sont que des administrateurs(trices), qui sont sensibilisé.e.s par les problèmes liés au réchauffement climatique, et qui s’appuient sur les travaux du World Economics Forum. Nous produisons des papiers pour aider les administrateurs à savoir poser les bonnes questions. 

On organise aussi des groupes de réunions avec des personnalités et des dirigeants. Il y a 2 types de réunions : soit ce sont des PDG qui sont intimement convaincus qu’on doit travailler sur ces risques, car ils peuvent impacter la stratégie de l’entreprise, soit ce sont des spécialistes des futures normes. L’association est gratuite, mais les gens se doivent de participer, donner leur point de vue et travailler sur l’impact. 

On donne des directives aux personnes qui nous consultent. Il faut reconnaître qu’on a des gens qui sont très motivés, pour faire avancer, et aussi pour donner une meilleure image de marque à une entreprise. Je remarque aussi que beaucoup de sociétés créent des fondations à cet effet. Des fondations porteuse de sens, qui rassemblent et fédèrent, et valorisent aussi par ricochet les collaborateurs de ces entreprises.

 

*NDLR: Les Benefit Corporations ou entreprises à mission sont souvent identifiées par le label B Corp, dont nous parlerons dans une prochaine interview. Cependant, il existe un certain nombre d’entreprises qui n’ont pas encore fait la démarche d’obtenir ce label, mais qui ont mis en place un certain nombre d’initiatives et de valeurs qui dépassent le cadre de leurs activités purement commerciales.

** Comply or Explain: Obtempérer ou Expliquer