Comment aborder la diversité en entreprise ? - Entretien avec Bacely Yorobi (ConnectX)
Entrepreneur dans le numérique, spécialiste de la diversité et de l’inclusion, Bacely Yorobi a également une forte appétence pour la philosophie et la spiritualité. S’il a travaillé dans la Silicon Valley (USA), à la tête de la stratégie digitale du gouvernement de Côte d’Ivoire, c’est à présent depuis la France qu’il officie avec sa startup ConnectX. Il y couvre les sujets de la diversité et de l’intelligence collective à travers le recrutement, la formation, les contenus événementiels ou en mettant en place des programmes pour les entreprises. Si vous allez sur le réseau social ClubHouse, Bacely est aussi un des pionniers concernant ces thématiques à travers le Diversity Club. Aujourd’hui, nous le rencontrons pour savoir comment s’emparer de ce sujet dans le milieu professionnel, qui émerge de plus en plus souvent au sein des problématiques RSE (Responsabilité sociétale et environnementale des entreprises).
Actuellement, quels sont les principaux enjeux de la diversité en France ?
Tout d’abord, il faut accepter le mot « diversité ». La diversité ce n’est pas aller vers la différence mais c’est accepter nos différences, et que ces dernières soient un point de synchronicité. D’ailleurs, les gens ont du mal à dire le mot « diversité », ils utilisent plus volontiers « égalité des chances » ou « inclusion ». Il y a un passé qui est lourd derrière le mot « diversité », donc les gens ont du mal avec.
Il faut également incarner la diversité car ça ne sert à rien de faire des programmes de diversité, si après on ne veut pas l’implémenter. Aussi derrière toutes les stratégies sur ce sujet, il y a une politique de diversité à lancer. Autrement dit une mise en œuvre, par la vision stratégique et opérationnelle, du middle management jusqu’aux grands patrons.
Le dernier point serait de réfléchir à comment faire un beau mariage entre diversité et productivité. Il y a des études qui prouvent qu’il y a un effet vertueux de l’une vers l’autre mais aujourd’hui il n’y a pas de dynamique pour mettre en œuvre la diversité et pour avoir des chiffres et des statistiques en entreprise qui en démontrent l’impact. C’est bien de s’appuyer sur les études de Cap Gemini ou Deloitte, mais c’est plus important de voir comment faire pour que la diversité s’intègre dans le tissu d’une entreprise, d’en observer les retombées et que finalement on puisse se dire que c’est évident de faire de la diversité.
En quoi la diversité peut être levier de croissance et de productivité pour une entreprise ? Et quels indicateurs recommanderiez-vous de suivre pour en voir les effets ?
La première chose que la diversité apporte, c’est la variété de perspectives et de visions. Dès lors qu’on a des gens issus de différents milieux culturels, sociaux ou même incarnant une forme de neuro-diversité, ça permet d’apporter au groupe une autre vision du monde. La fusion des paradigmes permet d’avoir une infinité de champs des possibles grâce à ces personnes qui sont à des carrefours différents.
La diversité permet aussi l’accélération de l’innovation. Si on a des équipes en Chine et aux États-Unis par exemple et qu’on joue sur la différence des fuseaux horaires, on a alors des équipes qui travaillent quasiment 24/24h. On peut gagner du temps lors des phases de développement.
Enfin la diversité donne accès à de nouveaux marchés. Si j’ai dans mon équipe une personne qui peut faire le pont entre 2 pays, ça permet de créer ou traduire par exemple des contenus tenant compte de la culture et de la langue locale. On touche alors davantage les publics qui vont acheter nos produits et on accélère la pénétration des marchés, grâce à un profil binational ou biculturel. Il y a aussi la possibilité de se connecter avec l’état d’esprit de cette personne-là qui connaît mieux que quiconque son marché, car elle est née et a grandi dans le pays. On ne peut pas rivaliser avec ce type de profil, en termes de connaissance du pays concerné.
Pour mesurer cela, on peut observer les KPIs (indicateurs clés de performance) tels que le chiffre d’affaires ou le nombre de visites sur le site web de l’entreprise et voir leur progression… Il faut regarder à la fois les indicateurs de performance financiers mais aussi de web analytics. Par exemple, quand on met en avant les managers locaux au niveau du top management dans les filières, on se rend compte que ça fonctionne mieux. Les consommateurs pouvant s’identifier plus aisément à ceux-ci. D’ailleurs, je trouve qu’on se fourvoie en ne voulant pas mettre d’indicateurs de performance derrière la diversité.
Les entreprises de la Tech, que vous connaissez bien, sont plutôt attentives aux questions de diversité et souvent plus innovantes, voire révolutionnaires, dans leur management. Que pensez-vous de la place des dirigeants pour faire bouger les lignes ?
Le modèle de management doit changer. On ne doit plus être dans un modèle pyramidal. Il faut qu’on soit dans un modèle d’intelligence collective où il y a des responsables mais qui en termes de statut sont comme n’importe quel employé, pour déscléroser l’univers de l’entreprise. Pour moi, les dirigeants doivent descendre d’un cran. Dès qu’il y a un jeu de pouvoir en entreprise, on ne peut pas faire de la vraie innovation. Toutes les entreprises qui innovent véritablement ont un modèle à la fois organisé et très structuré sur certains sujets, mais avec un esprit plus « open » et flexible sur d’autres, notamment avec la responsabilisation des employés.
Avez-vous vu aux États-Unis des actions concrètes en termes de management qui favorisaient la diversité ?
Bien sûr, il y en a de nombreuses. Par exemple, Facebook Campus University. C’est une initiative où chaque année, l’entreprise finance la formation et les stages de gens défavorisés. On les fait venir à Facebook. On les forme à la fois au leadership ou aux sujets techniques. Ils sont payés. Et on les aide à devenir des leaders dans la Tech. Puis, s’ils restent au sein de Facebook, l’entreprise les paient. S’ils créent leur propre entreprise, Facebook investit dedans. S’ils créent une solution dans l’éco-système de Facebook, ils peuvent devenir partners. Quoiqu’il arrive, Facebook suit l’alumni et trouvera une modalité pour rester en lien avec celui-ci.
Il y a aussi les initiatives de Airbnb, avec des groupes de réflexion autour de la diversité (LGBTQ+, la communauté des latinos, etc). Chaque groupe a pour but de faciliter les échanges avec la partie administrative de l’entreprise ou entre les collaborateurs pour éviter trop de frictions. Les représentants de ces groupes peuvent énoncer des réclamations pour leur communauté au sein de l’entreprise et défendre les dossiers de celle-ci. Ils siègent d’ailleurs au conseil d’administration. Ce n’est pas juste un pouvoir de représentation, car leur avis est pris compte dans les décisions de la compagnie. C’est là où ça commence à être intéressant.
Souvent en matière de diversité, le management veut lancer des actions dans une dynamique « top down » et ils ont ainsi parfois du mal à embarquer les équipes, qui n’ont pas vraiment été consultées. Que conseillez-vous pour éviter ce biais ?
Je recommanderais de contacter des structures extérieures, qui sont spécialisées sur la diversité et qui connaissent le sujet dans sa globalité, afin de réfléchir ensemble à comment lancer un programme. Puis de débuter par une phase d’interviews des différentes communautés et groupes au sein de l’entreprise, afin de recueillir tous leurs besoins et envies tenant compte de leur diversité. Après il s’agira de comparer avec les hypothèses élaborées par le prestataire partenaire pour voir ce qui est similaire et ce qui ne l’est pas. Un programme peut alors être construit en étant le fruit d’une réflexion provenant des instances dirigeantes vers les salariés et réciproquement. C’est important qu’il y ait un accompagnement des dirigeants par des spécialistes, pour qu’ils ne se retrouvent pas à réfléchir tout seuls dans leur bureaux sur la partie stratégique. Et évidemment, il faut une conversation avec les gens concernés par ce programme, pour que celui-ci soit à l’image des collaborateurs. Ces derniers se rendront compte qu’il y a tout un tas d’éléments dans le programme qu’ils ont eux-mêmes suggérés et se sentiront écoutés.