La RSE et l'inclusion en action ! - Entretien avec Bruno Renard (CEA de Grenoble)
Bruno Renard est définitivement un homme d’action. Coordonnateur de la RSE au CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) de Grenoble, il y porte avec énergie tous les projets RSE. Au fil des années, il s'est constitué une équipe qu’il n’hésite pas à challenger. Un état d’esprit qu’il s’applique à lui-même, car faire les choses à moitié ne l’intéresse guère. Bruno aime l’excellence, l’efficacité et ne s’en cache pas. Sur le chemin de l’Assemblée Nationale, où il va présenter un documentaire sur un projet d’inclusion lié à l'autisme, il nous a donné une interview. Une rencontre haute en couleurs et pleine de franchise.
Comment a évolué la Responsabilité Sociétale (sociale et environnementale) des Entreprises ces dernières années ?
Pour les grandes groupes, il faut faire un rapport RSE. C'est une obligation légale. Concernant les petites entreprises, la RSE pouvait être considérée auparavant comme du bonus. Dans les dernières rencontres que j'ai faites avec le Medef, la RSE n'est plus une valeur ajoutée. C’est devenu vital. En plus avec la crise du Covid, on est quasiment en plein emploi et on n'arrive pas à trouver de salariés. La marque employeur et l'attractivité de l'entreprise sont une donnée importante pour pouvoir recruter des salariés dans nos entreprises.
Sur un poste tel que le vôtre, qu'est-ce qu'on attend de vous ? Quels sont vos objectifs ?
On est un centre de recherche sous haute technologie et on fait du transfert industriel sur des évolutions sociétales. On aide les tétraplégiques « à marcher ». On transforme des déchets en énergie. On fait de la mobilité durable, de l'hydrogène. Mon patron m’avait dit : « Comme on va chercher des financements avec des entreprises industrielles, des collectivités locales, l'Europe, il faut qu'on soit cohérent avec ce qui sort de nos laboratoires en technologie et je veux une innovation sociétale. » Et il m'a chargé de cela.
Comment cela se traduit-il sur le terrain?
Je vais commencer avec un exemple : la mobilité. On a trois navettes et plein de véhicules électriques dans la flotte du CEA. On a le meilleur plan mobilité de France, en termes de report modal, avec seulement 3 salariés sur 10 qui viennent en voiture individuellement. Tous les autres sont en vélo, etc.
Par ailleurs, j'ai mis des clauses sociales dans les contrats. Ainsi les espaces verts sont gérés par des salariés en situation de handicap. Ils font du fauchage raisonné et on traite la faune et la biodiversité.
Le « bottom up » est très important aussi. C'est-à-dire qu'en général, toutes les sociétés font du top down, en imposant de faire telle ou telle action, mais ça ne fonctionne pas. En 2018, j'ai fait un appel à idées pour créer l’envie et voir si les salariés voulaient se mêler de cette responsabilité sociétale. Ce fut un succès extraordinaire : on a eu 400 contributions et on a dû créer des workshops.
En tant qu’opérateur d'État, je ne vends ni bien, ni service. Donc je ne fais pas de greenwashing. On a des moyens qu’on auto-finance avec notamment du sponsoring et de l'autofinancement externe. Et au CEA, on a une population qui est faite de chercheurs, d’ingénieurs de recherche, qui est totalement à l’esprit d'innovation et d'expérimentation.
Mon plus gros travail aujourd'hui, c'est de casser les préjugés, changer les comportements par des vagues de sensibilisation, de coaching, de tutorat, de mentorat, des événements… Et j'ai une équipe RSE scindée en deux, l’une sur un volet environnemental et l’autre sur le social.
Parfois les entreprises ont tendance à être juste dans le discours pour ce qui concerne la RSE. Comment fait-on pour que les actions soient efficaces ?
Tout d'abord, on est une entreprise, donc on évalue ce que l’on fait. On regarde systématiquement si ça marche ou pas, grâce à des rapports et des outils qui permettent de vérifier tout cela. Au CEA de Grenoble, on a beaucoup de succès donc on est très content, mais si ce n’était pas le cas, on ne servirait à rien.
Aujourd'hui, on peut voir qu'on a gagné en productivité avec nos salariés, parce qu'ils sont fiers d'être dans notre société. Un salarié, qui est fier de son appartenance, travaille mieux. C’est clair ! On fait des économies. On gagne en attractivité aussi. On va chercher des partenariats industriels. Et les industriels aiment bien travailler avec des entreprises exemplaires et inclusives. Quand on demande des budgets européens, on nous demande de détailler quelle est notre politique RSE. On démontre la solidité de celle-ci et on recueille les financements.
Quels sujets d'inclusion arrive-t-on à traiter grâce à la RSE ?
D'abord, on casse les préjugés. On change les codes de l'entreprise. Aujourd'hui, il y a des échecs. Par exemple, quand on embauche un salarié en situation de handicap, il est intégré. Mais le management n'est pas adapté... Ce sera un échec et le salarié s'en va. Donc le premier enjeu est de rendre fertile le corps de l'entreprise, comme lors d’une greffe, ainsi quand on va amener de la diversité, ça fonctionne. Les changements de comportement en font partie. Après on travaille sur le sourcing, à savoir comment identifier des personnes de la diversité pour qu'elles viennent travailler dans l’entreprise ? Puis on travaille sur des actions de sensibilisation des salariés sur tous les sujets RSE : les risques psychosociaux, le respect de la femme, la diversité…
Nous avons réalisé un documentaire de 52 minutes, qui s'appelle Hymne à l'inclusion, avec 4 parcours de salariés autistes dans 4 entreprises différentes, pour montrer aux entreprises qu'elles peuvent recruter et que ça marche. C'est un outil qui permet de sensibiliser les entreprises à l'intégration d'employés autistes et qui rejoint notre expérimentation de 3 CDD d'autistes qu'on a intégrés au CEA. On est en train d’écrire un livre blanc là-dessus.
On va lancer un grand projet de Mission Locale, parallèlement. Les missions locales en France, c’est du service public de l'emploi qui s'occupe des jeunes de 16 à 25 ans. Ces derniers sont généralement hors du système scolaire et hors des circuits de formation. On va donc fournir un outil pédagogique pour pouvoir repérer parmi ces jeunes, les personnes atteintes d'autisme non diagnostiqué et qui permettrait de mieux les aider dans leur construction professionnelle.
Comment peut-on accueillir et travailler avec un public varié, notamment celui lié à la neurodiversité et à l'autisme ?
Au CEA, on avait une politique concernant les personnes en situation de handicap assez poussée. Nos sites étaient 100 % accessibles. On avait tout fait pour pouvoir les recevoir. Et comme la plupart des entreprises pendant des années, on a travaillé sur des handicaps dits classiques, c’est-à-dire visibles… En 2018, on a un salarié dont la fille est autiste et qui est entrée en CDD chez nous. Ça s'est très mal passé. On s'est aperçu qu'il y avait un rejet globalement car il y avait eu un cas similaire avec un autre stagiaire. J’ai alors tapé du poing sur la table et demandé aux équipes de regarder pourquoi c'était si difficile d’intégrer des personnes autistes dans notre entreprise. Au final, tout était fondé sur des préjugés, relatifs aux troubles du neurodéveloppement. Les gens ont peur que l'autiste casse le climat social, qu'il soit contre-productif…
Vous savez, on est un centre de recherche. Je vais vous le dire très clairement : si vous avez un projet de recherche et que vous prenez 10 personnes sortant d'une grande école de commerce et les mettez dans le labo. Ils sont tous super diplômés, hyper bons. D’un autre côté, vous constituez une équipe ultra diversifiée en taille, en poids, en origine ethnique, avec de la diversité cognitive… Et vous allez voir la capacité d'innovation de la diversité. Et c'est vrai, c'est concret. Les premiers ont tous les mêmes codes. Alors que les seconds vont apporter de la richesse. Ici, on dépose 600 brevets par an. On a besoin de la diversité pour faire de la création et de l'innovation.
Qu'est-ce qui permet de bien intégrer une personne autiste dans une équipe ?
D'abord la première des choses, il faut faire un diagnostic. Ça peut se faire très simplement au travers d’un questionnaire ou avec des gens qui viennent vous aider et qui regardent comment se situe votre entreprise sur ce sujet. Il faut vérifier si les salariés sont prêts. Si vous essayez d'intégrer des personnes en situation de handicap, ce sera catastrophique si vous n'avez pas anticipé, avec de la sensibilisation.
Je vous donne un exemple quand on a embauché un salarié autiste en CDD à un poste de webmaster. Le service concerné partageait un espace avec une autre équipe. Et donc ils prenaient le café ensemble. La première équipe volontaire était totalement accueillante avec l’employé autiste. On n’avait pas envisagé qu'il y ait un rejet. Quand on a annoncé l'arrivée du salarié, il y a des gens de l’autre équipe qui ont tout bloqué, en disant qu’ils n'étaient pas prêts à boire un café à côté d'un autiste. On a fait venir un psychologue pour apaiser les craintes et le job coach* aussi a été important avec les équipes.
Le fait d'intégrer la famille, qui est extrêmement importante pour l'autiste, est un facteur qui peut faciliter le succès d'une intégration également. Par exemple, faire l'entretien d'embauche avec les parents, c'est intéressant, parce que les postulants sont en confiance. On adapte aussi les moments avec les personnes autistes et le job coach fait l'articulation entre l'entreprise et la famille.
Au CEA, on a une grille de salaires pour tous nos employés. On a des autistes de haut niveau, sur des postes d’ingénieurs, qui n'ont pas de diplôme. Donc on travaille avec des universités pour amener les salariés autistes à décrocher un diplôme, afin que dans notre entreprise ils soient payés au juste prix.
*Job Coach : C'est quelqu'un qui va aider à accompagner l'autiste dans sa vie privée, et surtout professionnelle pour faciliter son intégration dans l'entreprise. Le dispositif est payé par les entreprises. Le job coach aura une relation priviligiée avec la personne autiste. Il est formé, sait comment lui parler et la rassurer.